it's a man's world
Posté : 10 janv. 2009, 01:14

Je sors de la caravane aluminium, l'odeur du sel, imprégné de cette saveur unique d'huile brulée, qui s'échappe des moteurs en train de chauffer, m'envahit.Je regarde au loin, la blancheur du sol est tellement pur que parfois, je la confond avec le ciel, malgré mes ray ban. Une légère brise vient me caresser le visage, en déposant de la poussiere de sel sur mes levres déjà désséchées. Putin de lac, un vrai désert.

Je tourne la tete, et observe les mécanos en train de faire chauffer le v12 Merlin de Bad Merlin, qui se réveille doucement, dans un grondement d'apocalypse, les échappements laissant échapper un rale rauque, mélé au sifflement du compresseur à deux étages, ponctué de détonations et de flammes à la sortie des fluttes servant de silencieux. Cette bagnole est une pure merveille, un moteur Merlin série 100, prélevé sur un Spitfire, dans un chassis de hot rod constitué de deux poutres d'aluminium courant de l'avant à l'arriere de la bete.
Elle est magique, elle mérite bien son nom.

Je ne sens pas trop mes jambes, je suis aveuglé par cette étendue aride, j'ai l'impression que l'on a posé un fer chauffé à blanc sur mes levres, je suis en nage dans ma combinaison, sous le soleil de plomb du Nevada. Dire qu'on est au petit matin.
Je me dirige vers Bad Merlin, mes gants dans mon casque, mon casque à la main. Le sel craque sous mes pas. Les mécaniciens coupent le moteur, malgré le bruit des engins autour, j'ai l'impression d'un calme absolue, sans le vacarme de Bad Merlin.

J'enfile mon casque avant de descendre à l'intérieur de Bad Merlin, je n'aurai pas la place de le faire à l'intérieur, mon chef mécanicien m'ouvre la minuscule porte par laquelle je dois me faufiler. Je rentre la jambe droite, puis la gauche, mes mécaniciens me soutenant par les épaules. Puis ils me laissent glisser jusque dans mon baquet. Je n'entend plus rien, je regarde la cage d'acier qui m'entoure, les tubes de l'arceau de sécurité veillant au dessus de ma tete, le réservoir auto obturant à ma gauche, les bouteilles d'oxygene derriere mon siege, ainsi que la batterie.
Un des mécanos me tend le volant, me sortant du silence. J'enclenche le volant, met mes aviator sur le nez, puis enfile mon gant gauche, puis le droit, tandis que le meme mécano raccorde mon arrivé d'oxygene aux bouteilles. Sans elles, j'aurai bien du mal à respirer derriere le moteur de 27 litres de cylindrée, la température étant intenable.
Les mécanos me poussent vers la ligne de départ de la piste de 16 km. Je ne peux m'empécher de vérifier mon équipement, fermeture éclaire de la combinaison remontée jusqu'au coup, scratch de coup fermé, chaussure droite bien attaché, idem la gauche, fermeture éclair du gant gauche fermé et remontée sur la combi, idem à droite, sangle de casque vérouillé, masque à oxygene verouillé, aération du casque ouvertes. Je freine, je suis sur la ligne.
Magnéto 1 on. Magnéto 2 on. Contact.
Dans un rale sourd, et un tremblement monstrueux, le démareur lance le moteur. Je vérifie le ralentit à 600 tr/min, tout en regardant que la pression d'huile soit bien montée. Je règle la pression d'admission à 1.0 kg/cm². Je vérifie le voltmetre, l'amperemetre, le voyant du réservoir plein, 80 litres de bleue, indice 140. Les températures culasses, cylindres et huiles sont bonnes. Idem liquide de refroidissement.
Je monte le régime à 2600 tr/min, et je procede aux essais moteur. Magnéto 1 off, le moteur perd 100 tours. Magnéto 1 on, magnéto 2 off, le moteur perd 100 tours, je remet la 2 on, et relache la pédale, le ralentit revient se stabiliser à 600 tours. Je vérifie l'arrivée d'oxygene, ok.

Les commissaires me font signe de me préparer, je leur fait signe que je suis ok. Je peux y aller. Je pose la main gauche sur le levier de vitesses, je passe la premiere des quatres vitesses, fait un peu monter le régime, et gaz, le chrono et déclanché.
Je suis parti pour les trois plus belles minutes de ma vie.
Les roues arrieres patinnent sous le couple du moteur, le compteur avant m'indique tout juste 50 km/h, alors que l'arriere dépasse les 100. Je n'insiste pas et passe la seconde, mais dès le lacher d'embrayage, les roues arriere recommencent à patiner, et, la brise venant de la droite de la piste aidant, je commence à dériver de la ligne noire centrale. Je m'efforce de conserver l'alignement et le cap, pousse le moteur à 2500 tr/min, et passe la 3. Le compteur avant indique déjà 240 km/h. J'ouvre l'oxygene à 25%.
Encore une fois, les roues arrieres se dérobent, mais en accélérant progressivement, cela reste maitrisable. Je pousse le moteur jusqu'à 3000 tr/min, le compteur avant indique 385, l'arriere 390, l'écart est faible.
Mais les roues avant commencent à trembler, et à onduler latéralement sur la piste. J'ouvre l'oxygene à 50%. Je monte à 190 vitesse avant. Le phénomene s'amplifie, j'ouvre l'oxygene à 75% pour garder mon calme. Il faudrait que je puisse soulager l'avant. Si j'accélere, les roues arrieres vont patiner, et je ne suis pas loin de la coupure d'allumage. Je regarde les différentes températures moteurs, elles sont juste un peu en dessous de la température médiane.
Je décide d'abaisser les volets de refroidissement qui sont sur le dessus du capot, ainsi, l'appui sur l'avant sera moindre. Conjugué à une franche accélération en quatrieme, ça devrait le faire. Mais le moteur risque de chauffer. Tant pis je prends le risques.

Je passe la quatre, je reste stabilisé à 190 avant, l'arriere est à 192, nickel, l'avant ondule toujours, me demandant une concentration énorme pour garder le cap et l'alignement, j'ouvre l'oxygene à 100%, respire un grand coup, et rentre les volets de refroidissement. Et gaz.
En quatrieme, les roues arrieres arrivent à motricer, avec un différentiel de vitesse rarement supérieur à 20 km/h. la brise latérale n'est plus sensible sur la trajectoire. Les pistons de presque 14 centimètres de diametre se déchainent sur plus de 15 centimetres de course, le double compresseur siffle dans mes oreilles, le volant devient beaucoup moins violent entre mes mains, les vibrations parcourent mon corps avec une intensité maléfique, je suis collé à mon siège, subjugué par la bande défilant sous mes roues, s'accélérant à chaque instant. Le regad au loin, mon champ de vision se rétrécit, je suis seul, seul avec ce moteur.
J'ose monter la pression d'admission à 1.2 kg/cm², les températures augmentent, je suis entre la médiane et la zone rouge. Je peux encore accélérer, je suis à 3200 tr/min, la coupure est à 3400. A cet instant, nous sommes à 490 avant et arriere, ça a l'air de parfaitement motricer. Je respire.
Je dois prendre une décision. Garder cette perf, déjà bien fantastique en soit, toute l'équipe en sera heureuse, assurer jusqu'à la ligne finale, dans 6 km, ou tenter le tout pour le tout, pousser le fabuleux Merlin à fond, tirer tout des 2400 chevaux promis, et tenter d'atteindre les 520 km/h promis? La raison, la déraison? La passion?
Je suis un pilote.
Je suis un pilote.
Les boisseaux de chacun des 12 carbus se lèvent simultanément. La belle repare, s'arrache en avant, l'arriere patine à peine. Je passe la barre des 500 km/h. Les températures liquide de refroidissement et huile sont à la frontiere du rouge, les culasses sont dans le rouge, les cylindres ont encore un peu de marge. Je suis à 510, et il me reste un peu moins de 100 tr/min avant la coupure d'allumage. Je continue. Une allarme retentit dans l'habitacle. Non, je ne peux pas couper.

Je ne coupe pas. Je fixe le bout, plus que 2 km, soit une quinzaine de secondes.

Après, tout pourra lacher, je ne lui en voudrait pas. Mais pas avant. Pas maintenant, s'il te plait. Je t'en prie.

L'alarme sonne de plus en plus fort, tout devient noir.
Putin de réveil...
